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Mise à jour – 10/09/2020
Cet après-midi, M. Ruffin a organisé une visio avec 9 handis, dont moi-même, qui l’avaient interpellé suite à ce rapport. Il y a eu un tour de table et la discussion a duré 1h15. Chacun a abordé sa situation personnelle pour témoigner. Comme souvent, c’était d’un côté très bien de donner un aperçu de la « vraie vie » avec des cas très précis mais d’un autre côté cela n’a pas permis un débat de fond sur des propositions pour faire évoluer la législation.
Il a admis sans ambiguïté son ignorance vis à vis de la réalité du côté des handis ayant recours aux services prestataires. Il supprimera la proposition n°3. Cependant, de son point de vue, il ne faut pas idéaliser l’emploi direct qui a des limites, notamment pour l’ancienneté,… Dans l’idéal, il souhaiterait un service publique pour l’aide à la personne (moi aussi), chose probablement très utopique.
A suivre.
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Le 30 juin 2020
A l’attention des Messieurs les députés, Bruno Bonnell et François Ruffin
Messieurs les députés,
Je me présente, j’ai 30 ans et je suis handicapée moteur : je suis en fauteuil et je communique avec une synthèse vocale. J’ai recours à des aides à domicile avec la PCH « aides humaines ».
J’ai donc lu, avec attention, votre rapport sur les « métiers du lien », plus particulièrement les parties concernant les aides à domicile.
Plusieurs points m’ont interpellée et je souhaite vous en faire part.
Par souci de transparence, je précise que je vous écris à titre personnel, je ne suis porte-parole d’aucune association.
Tout d’abord, dans tout le rapport vous parlez de personnes et de publics « fragiles », définis comme étant « handicapés ou malades ». Cet amalgame (handicapé/malade/vieux=fragile) est, excusez-moi, d’un autre temps. A titre personnel, je suis docteure en mathématiques appliquées, je suis Ingénieure de Recherche CNRS avec des responsabilités, j’ai une vie sociale remplie. Alors oui, j’ai besoin d’aides humaines pour pouvoir vivre de façon autonome et indépendante. Ce n’est pas pour autant que je suis fragile ! Et je pourrais vous citer une myriade de personnes handicapées dont le terme « fragile » est à l’antipode de leur situation réelle. Cet amalgame va dans le sens du « validisme », suggérant une oppression des valides sur les handicapés. Je suis loin d’adhérer totalement à ce concept mais ici, je ne peux que reconnaître qu’il y a un validisme latent.
Et cette idée de fragilité oriente la proposition n°3 qui m’a fait bondir :
Proposition n° 3 : Supprimer la possibilité pour des personnes physiques de bénéficier de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) ou de la prestation de compensation du handicap (PCH) si elles emploient directement ou à travers le mode mandataire une aide à domicile pour l’assistance aux actes de la vie quotidienne.
Elle est justifiée par « Les particuliers employeurs qui font appel à une aide à domicile sont, par définition, fragiles et souvent âgés. Ainsi, près d’un particulier employeur sur trois (hors garde d’enfant) a plus de 80 ans. Malgré l’existence de certains dispositifs comme le « Réseau Particulier Emploi » visant à les accompagner, vos rapporteurs considèrent que les particuliers employeurs ne sont pas en situation d’être des employeurs responsables veillant aux bonnes conditions de travail de leurs salariés et facilitant leur accès à la formation professionnelle. »
Mais je ne comprends pas pourquoi les particuliers employeurs d’une aide à domicile, bénéficiaires de l’APA et de la PCH, ne sont pas en situation d’être des employeurs responsables. Sur quoi vous appuyez-vous pour arriver à cette affirmation injuste et, honnêtement, insultante?
Après dix ans chez un service prestataire, j’ai décidé de passer en emploi direct de deux aides à domicile. Je peux vous assurer que j’ai lu tous les articles législatifs sur l’emploi direct afin de faire les choses correctement. Et j’ai découvert des groupes Facebook affiliés à l’association Gré à Gré et à l’association CHA dans lesquels les particuliers employeurs ont une multitude d’échanges pour répondre à toutes les problématiques afin justement de garantir des bonnes conditions de travail aux salariés. Certes, il y a sans doute des particuliers employeurs abuseurs, le handicap ne donne pas la sainteté, mais comme sur tout le marché du travail et eux aussi s’exposent aux procès et tout ce qui s’ensuit. Mais, je repose la question pourquoi tout particulier employeur handicapé et/ou âgé serait irresponsable ?
Maintenant, pourquoi j’ai quitté le système des services prestataires ? Votre rapport se centre sur le traitement des salariés mais sans réellement aborder ce qu’il se passe quotidiennement chez les personnes bénéficiaires.
Les plannings sont imposés aux aides à domicile et aux bénéficiaires, ne tenant pas du tout en compte de la temporalité de la vie du bénéficiaire.
Il y a un turn-over incroyable, un mois, par exemple j’ai eu cinq intervenants différents par semaine. Avec chaque intervenant, il faut réexpliquer, se réadapter et quand on a créé une routine et un lien de confiance, le service prestataire nous change d’intervenant sans concertation préalable. Et bon, parfois on tombe sur des « cas ». Quand il faut que l’aide à domicile nous aide à préparer le repas et qu’elle ne sait pas que des pâtes se cuisent dans de l’eau, qu’elle laisse les poubelles en plan dans le salon, avant un week-end, car elle n’a pas trouvé les clés du local, qu’elle range les habits mouillés dans une commode, ou qu’elle se permette de faire des commentaires sur notre vie privée et intime là oui, on se sent fragilisé, abandonné, voire maltraité.
Et ce type d’anecdotes peut vous être raconté par n’importe quel bénéficiaire de service prestataire, indépendamment de la franchise du service prestataire, croyez-moi. Ainsi, notre seul levier de pression, quand ça se passe mal, est de « menacer » de quitter le service prestataire pour un service mandataire ou l’emploi direct.
Rappelons que le service mandataire et l’emploi direct nous permettent de chercher et de trouver des personnes nous correspondant bien et avec qui nous pouvons lier un lien de confiance (car n’est-ce pas après tout le plus important ?), de mettre en place une organisation qui nous convienne aussi bien à nous-mêmes mais aussi aux salariés. L’emploi direct nous donne beaucoup de responsabilités mais aussi une autonomie et une indépendance.
Je suis tout à fait d’accord, « l’aide à domicile auprès de publics fragiles doit prendre la forme d’un véritable service public au sens fonctionnel – il s’agit d’une activité destinée à satisfaire un besoin d’intérêt général – comme au sens organique – il s’agit d’une activité que l’État doit encore davantage régulier. ».
Mais au lieu de s’attaquer, en premier lieu, aux services mandataires et à l’emploi direct, il faudrait réformer le système dans sa globalité. Tout d’abord, pour l’attribution des heures de PCH/d’APA, il faut arrêter de nous demander de faire rentrer nos besoins dans des cases étriquées pré-établies mais de prendre en compte nos besoins réels. Il faut revaloriser le métier comme vous le préconisez, en formant réellement les aides à domicile, en augmentant les salaires et en supprimant les contrats précaires. Et il faut donner la possibilité aux bénéficiaires ET aux aides à domiciles, dans les services prestataires, de choisir leur binôme aidant/aidé afin de créer un lien de confiance pérenne. Lorsque ces conditions seront remplies, peut-être qu’on pourra envisager de donner le monopole aux services prestataires.
En attendant, je trouve que ce serait dangereux, injuste voire insultant de nous priver de la liberté de choisir quelle option -service prestataire, service mandataire ou emploi direct- nous convient le mieux.
En lisant la liste des personnes et organismes que vous avez consultés pour ce rapport, seule la présidente d’une association de handicapés, Mme Odile Maurin de HandiSocial, a été consultée.
Je déplore que des associations telles que l’association Gré à gré, spécialiste de l’emploi direct, ou encore l’association CHA n’aient pas été consultées, vous auriez pu ainsi avoir d’autres points de vue éclairants.
Je me permets de publier ce courrier sur mon blog et les réseaux sociaux sur lesquels votre rapport crée un certain émoi. J’y communiquerai bien sûr toute réponse de votre part, cela intéressera beaucoup.
Quant à moi, je me tiens à votre disposition pour tout échange.
Veuillez, Messieurs, agréer mes salutations distinguées.
Emmanuelle Kristensen
Envoyée par email aux députés le 30 juin 2020