Rencontre avec une députée LREM

Hier, j’ai été invitée à une grosse matinée d’échanges sur le handicap par la députée Mme GALLIARD-MINIER, députée LREM de la 1ère circonscription de l’Isère.
J’ai mis quelque temps à me motiver à accepter l’invitation car LREM donc bon… avec des assos dont je ne partage pas forcément les visions sur handicap et c’était un congé à poser. Mais c’était aussi une opportunité pour faire entendre un discours peut-être un peu différent. Donc finalement j’ai accepté et pour bien pouvoir développer mes propos, j’ai préparé à l’avance des textes convertis en fichier audio pour chaque thématique du programme. Et donc les voilà… Je mets également les fichiers audios. Je termine par un bilan et un bonus.

Présentation

Bonjour à toutes et tous,
Tout d’abord merci pour cette invitation.
Je m’appelle Emmanuelle Kristensen, j’ai 32 ans et je suis ingénieure de recherche. Je suis une des cinq militants du collectif Le prix de l’amour qui milite pour la déconjugalisation de l’AAH. A ce titre, nous avions échangé avec Mme la Députée qui nous a ensuite invités aujourd’hui. Le collectif, qui existe depuis mars 2021, focalise son travail exclusivement sur la déconjugalisation de l’AAH, pour l’instant. Cependant, d’un commun accord et avec leur entier soutien, je suis là parmi vous aujourd’hui pour essayer d’apporter mon expérience et mon point de vue concernant les différentes thématiques au programme. Mes propos d’aujourd’hui n’engagent donc que moi-même.
Comme je communique avec une synthèse vocale, pour plus de facilité et pour pouvoir développer mon propos, j’ai préparé des petits fichiers audios, comme celui-ci, pour chaque thématique. Je vous présente mes excuses par avance s’il y a des redites par rapport à vos interventions respectives. Et bien sûr lors des échanges je participerai de façon spontanée.

Prestation de compensation du handicap (PCH)

Je vis toute seule depuis mes 20 ans, date à laquelle je suis arrivée à Grenoble pour mes études, ma famille habitant près de Marseille. Il est donc vital que j’ai de l’aide via la PCH « aide humaine » qui est un dispositif qui ne demande qu’à être amélioré. Donc aujourd’hui je vais me concentrer sur la PCH « aide humaine » et laisser les autres PCH de côté.

Pour commencer, prenons un cas concret pour illustrer les limites de la PCH. Une personne en fauteuil, se servant d’une seule main a su, après une rééducation importante, devenir autonome pour les transferts, la toilette et l’habillage. Pour vivre seule et travailler à temps plein, elle a besoin d’une aide humaine pour toutes les tâches ménagères. Or la PCH ne prend pas en charge les tâches ménagères et l’entretien du linge mais sans cela, la personne ne pourrait pas vivre seule : faire le ménage en fauteuil et étendre le linge à une main, tout le monde peut comprendre que ce n’est pas possible. Une fois, lors du renouvellement de sa PCH, elle a naïvement et avec fierté expliqué qu’elle pouvait s’habiller et se doucher toute seule mais qu’elle avait donc besoin d’aide pour les tâches ménagères. La référente MDPH lui a alors répondu froidement que le ménage n’était pas pris en charge car considéré comme du confort. La personne a alors perdu les 2 tiers des heures qu’elle avait, a dû embaucher de sa poche en complément, a eu de gros problèmes de santé dus à la fatigue engendrée, etc. Depuis elle doit sous-estimer son autonomie pour obtenir suffisamment d’heures et c’est bien sûr un moment vécu comme une humiliation. En résumé, actuellement, les personnes doivent faire rentrer leurs besoins dans des cases prédéfinies, il faudrait au contraire que la PCH soit adaptée aux besoins réels de chaque individu et cela ne paraît quand même pas invraisemblable qu’une personne handicapée ait besoin d’aide pour l’entretien de son logement. Des aides existent selon les CCAS mais elles dépendent souvent des revenus, par conséquent cela reste un surcoût lié au handicap.
Il faudrait ensuite revoir de fond en comble le système d’emploi d’auxiliaires de vie. Il y a trois formules possibles : le prestataire, le mandataire et l’emploi direct. Je peux vous parler des modes prestataires et emploi direct. Je n’ai jamais eu recours au mandataire.
Le prestataire consiste en une entreprise ou une association employant les auxiliaires de vie. Pendant 10 ans, j’ai eu recours à ce mode. L’avantage est que le bénéficiaire n’a strictement rien à faire, tout est géré par le prestataire. Par contre il y a quelques inconvénients.Tout d’abord, les plannings sont imposés aux aides à domicile et aux bénéficiaires, ne tenant pas du tout en compte de la temporalité de la vie du bénéficiaire.Il y a un turn-over incroyable, un mois, par exemple j’ai eu cinq intervenants différents par semaine. Avec chaque intervenant, il faut réexpliquer, se réadapter et quand on a créé une routine et un lien de confiance, le service prestataire nous change d’intervenant sans concertation préalable.  Et bon, parfois on tombe sur des « cas ». Quand il faut que l’aide à domicile nous aide à préparer le repas et qu’elle ne sait pas que des pâtes se cuisent dans de l’eau, qu’elle laisse les poubelles en plan dans le salon, avant un week-end, car elle n’a pas trouvé les clés du local, qu’elle range les habits mouillés dans une commode, ou qu’elle se permette de faire des commentaires sur notre vie privée et intime, on se sent fragilisé, abandonné, voire maltraité.Et ce type d’anecdotes peut vous être raconté par n’importe quel bénéficiaire de service prestataire, indépendamment de la franchise du service prestataire. Depuis 2 ans, j’ai donc décidé d’employer moi-même mes auxiliaires de vie. Le recrutement m’a pris plusieurs mois avec quelques entretiens burlesques avant de trouver les personnes qui me convenaient et à qui je convenais. En effet, pour moi, c’est un jeu d’équipe et il faut qu’il y ait une entente et une confiance indéniables entre nous. J’ai trouvé une forme de liberté et d’indépendance dans ce mode de fonctionnement. Par contre j’ai aussi des responsabilités très sérieuses en tant qu’employeur vis-à-vis de la législation et cela m’ajoute un surcroît de travail lorsqu’il faut rédiger les contrat, gérer des arrêts de maladie, des congés, des congés de maternité, etc. Mais pour l’instant, je n’ai aucun regret. Cependant, il faut savoir qu’il y a un reste à charge non négligeable liés aux indemnités de rupture ou de fin de contrat, entre autres. Et cela va s’alourdir avec la nouvelle convention collective des salariés du particulier employeur qui s’appliquera en janvier 2022. Ce texte ajoutera des charges à l’employeur (cotisation nouvelle, hausse de cotisations patronales et nouvelles dispositions sur les jours fériés et les nuits). Il faudrait donc augmenter le tarif horaire de la PCH afin de couvrir les charges récurrentes et disposer d’un financement exceptionnel à disposition des bénéficiaires afin de couvrir les dépenses aléatoires comme les remplacements, les indemnités etc, par exemple.Enfin, il faut absolument revaloriser le métier d’auxiliaires de vie. Tout d’abord il faudrait une réelle formation avec au bout un vrai diplôme. Dans les services prestataires, les auxiliaires sont généralement exploitées pour un emploi précaire. En emploi direct le salaire horaire brut de la PCH est de 14,21 euros. Vous ne trouvez personne voulant occuper un poste aussi essentiel à ce tarif-là et si vous trouvez quelqu’un, ce n’est pas un salaire qui fidélise et valorise les salariés.
En conclusion, il faudrait ouvrir un vrai chantier de rénovation de la PCH « aide humaine » en concertation avec les personnes handicapées et aussi avec les auxiliaires de vie.

Formation et Emploi

Tout d’abord, je souhaiterais évoquer le rapport de l’ONU (VO en anglais, traduction) sur la politique française du handicap. Il est sorti mi-septembre. Sur 21 pages, les points positifs n’en occupent même pas une page complète. Quand j’y ai lu les mots torture, maltraitance, privation de liberté j’ai cru que j’avais téléchargé le rapport d’un autre pays, mais non. J’en parle maintenant car ces mots sont associés dans le rapport à de trop nombreuses reprises aux institutions et aux établissements ou services d’aide par le travail. Ces dispositifs français violent plusieurs articles de la Convention des Nations Unies relative au droit des personnes handicapées dont la France est signataire. Ce n’est pas le premier rapport de l’ONU à le dénoncer mais en France, il y a un certain fatalisme donnant à penser que ces établissements sont le seul recours possible pour de nombreuses familles. Cette attitude est également teintée de prétention, à mon sens, en refusant de se remettre en question, même après un rapport de l’ONU si désastreux, et de regarder ce qui se passe dans d’autres pays pour en tirer les bonnes idées et en éliminer les moins bonnes afin d’imaginer un système français ambitieux. Car oui, nous manquons cruellement d’ambition concernant la politique sur le handicap. Et le fait que les associations les plus puissantes soient gestionnaires de ces établissements n’aide sûrement pas à évoluer vers une désinstitutionalisation.

Maintenant, concernant mon parcours, j’ai toujours été scolarisée en milieu ordinaire, mes parents ont toujours fait remparts contre l’orientation vers l’institution suggérée par certains. Une fois à l’école, j’ai décidé de tout faire pour y rester et je suis donc allée jusqu’au doctorat. De 1992 à 2009, de la petite section à Math spé, j’ai toujours eu une auxiliaire de vie scolaire à temps plein et juste pour moi. Un tel accompagnement n’existe plus. L’idée qu’en 2021 je n’aurais pas pu avoir une scolarité dans d’aussi bonnes conditions me désespère totalement. Comment peut-on parler de formation et d’emploi si tout n’est pas mis en œuvre dès la maternelle pour assurer de bonnes conditions de scolarisation. A chaque rentrée, le gouvernement dit que tout se passe très bien. Il suffit de passer quelques soirées sur les réseaux sociaux et de lire des articles pour voir à quel point c’est catastrophique : des heures d’accompagnement accordées au lance pierre, des AESH mutualisées sur plusieurs enfants parfois sur différents établissements, des postes non pourvus à la rentrée, des parents dans une détresse inimaginable, des enfants abandonnés à leur sort, des instituteurs désemparés. De plus le métier d’AESH est extrêmement précaire et complètement dévalorisé : une AESH ne peut espérer un CDI qu’au bout de 6 ans de CDD renouvelable, elle n’a aucune formation, aucun diplôme requis, elle est parachutée devant des élèves handicapés sans aucune information sur leur handicap ni aucun lien avec l’équipe médico-sociale. Pourtant ce sont des personnes qui ont un métier tellement précieux : celui d’accompagner un enfant dans sa scolarité, comment est-ce possible que ce métier soit traité de cette façon ? Et comment est-ce possible de confier des élèves à des personnes non formées et dont on ne vérifie pas le niveau scolaire ? Certains élèves se retrouvent avec des AESH ne sachant pas correctement écrire et encore moins écrire des formules mathématiques, d’autres se retrouvent avec des AESH complètement instables et non fiables.
Bref, nous ne pouvons vraiment pas être fiers de la manière dont la France s’occupe des élèves handicapés en 2021. Puis il y a l’enseignement supérieur dans lequel nous déboulons sans aucun accompagnement, je laisserai Chloé Fonvielle raconter plus en détail.
Après une école d’ingénieur, un doctorat et un postdoctorat, j’ai intégré le CNRS via un concours handicap. J’ai bien conscience que j’ai eu un parcours atypique par rapport à la majorité des personnes handicapées qui vivent une véritable galère dans le monde du travail.
D’ailleurs, je voudrais rappeler que M. Macron, quand il était ministre de l’économie, a assoupli l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés pour les entreprises en permettant de comptabiliser des alternatives telles que des stages d’observation ou des mises en situation professionnelle par exemple. L’obligation d’emploi de travailleurs handicapés peut alors être satisfaite par une entreprise sans qu’elle n’ait à employer un seul travailleur handicapé : elle peut avoir recours à de la sous-traitance, à des stages, à un accord d’entreprise et contribuer financièrement à un fonds de développement de l’insertion des personnes handicapées. Donc cette fameuse obligation d’emploi n’en est pas vraiment une.
Durant ce quinquennat, une des actions phares de Mme la ministre Cluzel a été la mise en place du Duo Day. Pour moi, ce jour-là est une torture. Sur les réseaux sociaux, on est bombardé de selfies de chefs d’entreprise avec leur personne handicapée réduite généralement à son prénom et de slogans moyenâgeux. Imaginez si ce DuoDay consistait à qu’un homme montre son lieu de travail à une femme pour lui faire découvrir le monde du travail, postant un selfie avec comme commentaire « Très heureux de partager ma journée avec ma DuoDay, Stéphanie. L’inclusion des femmes en milieu professionnel est un devoir et l’affaire de tous. Nous devons, ensemble, combattre les préjugés sur la féminité! »
J’ai repris un tweet de Bruno Le Maire et j’ai remplacé « personnes handicapées » par « femme » et « handicap » par « féminité ». Maintenant, peut-être que vous comprenez ce que je peux ressentir le jour du DuoDay. Et en plus, les rares chiffres qu’on trouve montrent que c’est totalement inefficace. J’avais trouvé une enquête pour l’édition 2020 : 6% des répondants ont eu un stage, 3% un cdd, 1% un cdi, moins d’1% un apprentissage. Donc 90% n’ont rien eu à l’issu de cette journée.
Moi, à la place de cette journée de communication malaisante, je rêverais d’une campagne de sensibilisation où on montrerait des travailleurs handicapés à leur poste, leur métier serait au centre de l’histoire et non leur handicap, car en fait, ce qui devrait intéresser c’est les compétences et non le handicap. Il faut en finir avec les slogans tels que « les travailleurs handicapés enrichissent les entreprises » ou encore «une journée pour découvrir les atouts et les qualités des personnes handicapées ». Ils sont au mieux stigmatisant, là encore remplacez « handicapées » par « femmes » ou par tout autre minorité, et vous verrez peut-être ce que je veux dire.La sensibilisation est une chose mais comme je l’ai déjà dit, il faut enfin devenir ambitieux et multiplier tous les moyens possibles dès la maternelle, revaloriser tous les métiers d’accompagnement, donner les moyens aux entreprises pour les aménagements de poste. Bref, avoir enfin une vraie politique.

Bilan

Je suis allée à cette journée sans aucune attente, au contraire je m’étais préparée à être exaspérée/désespérée.
En sortant de cette journée, je dirais que le plus intéressant a été de discuter avec certains militants que je connaissais seulement de nom mais sans les avoir jamais rencontrés, comme Chloé Fonvielle qui milite pour qu’il y ait des assistants de vie universitaire.
Quant aux échanges, j’ai été satisfaite de pouvoir dire ce que je souhaitais grâce à mes fichiers audios. Sans surprise, la députée a défendu le bilan (désastreux pour moi 😉 ) du quinquennat, a semblé bien comprendre les problèmes de la PCH et lorsque j’ai parlé du Duo Day a reconnu qu’elle n’avait jamais pensé à la vision que j’ai exposée. Elle a proposé de travailler sur une autre formule du Duo Day, à voir…
J’ai été frustrée que personne n’ait rebondi sur mes propos sur le rapport de l’ONU et l’attitude des assos gestionnaires des institutions, d’autant plus que l’une des plus puissantes, l’APF pour ne pas la nommer, était présente. Par contre, en aparté, certains militants (pas de l’APF ^^) m’ont donné raison.
Au moins, ai-je peut-être semé des graines de réflexion…

Bonus : Mobilité et Accessibilité

Je ne suis pas intervenue car je trouvais que cela n’apportait rien de plus aux interventions des autres invités mais voici ce que j’avais préparé.

Je ne vais pas m’attarder sur le vote de la loi Elan, première fois où un gouvernement et la majorité parlementaire français sont revenus explicitement et de façon complètement assumée sur les droits des personnes handicapées. Pour rappel, elle va à l’encontre des conventions signées avec l’ONU. J’y pense de temps en temps quand je vais chez des amis ou quand j’ose regarder les locations Airbnb, par exemple. Je voudrais aussi faire remarquer que les bus dits bus macrons ne sont pas ou très peu accessibles donc nous sommes encore perdants car ces bus sont bien moins chers que les trains par exemple et leur mise en place a parfois réduit l’offre des trajets en train, accessibles, eux.

Niveau mobilité et accessibilité, sur l’agglomération grenobloise, nous vivons dans une bulle plutôt confortable. Les problèmes commencent dès qu’on en sort. Si on prend le train, on est obligé d’anticiper le voyage au moins 48 heures à l’avance pour pouvoir avoir une assistance en gare puis se présenter 30 minutes avant le départ du train. Si un jeudi, j’ai envie d’aller chez mes parents pour le week-end, ce n’est pas possible. Et être 30 minutes en avance à la gare, ça peut sembler très long sur un trajet de plusieurs heures à bord d’un train dont les toilettes ne sont pas accessibles. Trouver, pour des vacances ou un déplacement professionnel, un hébergement accessible demande des heures et des heures de recherche et un budget conséquent puis sur place il faudra trouver des transports etc. Mi-septembre, je suis allée à Paris pour un déplacement professionnel, on a payé 300 euros pour 4 trajets en taxi adapté dans Paris intra-muros. Pour trouver un hôtel, j’ai dû contacter tous les hôtels de l’arrondissement pour leur demander des photos afin de vérifier l’accessibilité de la salle de bain PMR. Très peu avaient une salle de bain PMR réellement accessible et ce n’était pas les hôtels les moins chers du marchés, loin de là. Espérons que les jeux paralympiques permettront de rendre Paris plus handifriendly mais pour l’instant je n’ai pas l’impression qu’il y ait une démarche révolutionnaire dans ce sens.Je suis plusieurs fois allée à Londres. Là-bas aussi, le métro n’est pas forcément accessible. Par contre n’importe quel taxi noir anglais est accessible et au tarif normal sans parler des bus. Ça pourrait peut-être être source d’inspiration par exemple.

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